Théoriques versus Pratiques
Désolé pour cet intermède sans nouvelles. J’ai été très occupé ces derniers temps puisque je suis parti durant une semaine en mission dans la région la plus au Nord du Burkina Faso. Là-bas, j’y ai découvert un autre monde. Un monde ou ses habitants rendent la vie très simple malgré des conditions de vie vraiment difficile. Il n’y a pas d’électricité. L’eau est uniquement accessible grâce à quelques quelques forages. Il n’y a pas de routes goudronnées. La température monte à 50 degrés en saison sèche (c’est-à-dire actuellement), et le sol est uniquement fait de sable. Nous sommes à la porte du désert, dans la région de Markoye en Oudalan.
La première question qui me vint à l’esprit lorsque je suis arrivé est de savoir pourquoi les gens continuent à vivre dans une région si dure et isolée. Il m’est encore aujourd’hui difficile d’y répondre. Ce fut pour moi un réel paradoxe. Les gens ici souffrent car la vie ne leur fait pas de cadeaux, mais ces habitants dégagent une joie de vivre incroyable. Petit retour en arrière, à Paris. Je repense à ces visages que je croisais dans le métro. Cette tristesse dans les traits. La vie était beaucoup plus facile qu’ici. Pourtant quelque chose d’important manquait. Ici je l’ai trouvé. C’est ce côté humain. Alors est-il vraiment mieux pour cette population de vivre dans notre monde ? Je ne pense pas. Je dirais même plus, il nous faut redevenir humble et apprendre d’eux. Dans le domaine du développement, c’est le comportement inverse que l’on retrouve. Tout le monde semble être vouloir donner sa leçon. J’ai récemment commencé à lire « Whose reality counts? » de Robert Chambers. De cette lecture, est ressortie une réflexion. Sommes-nous assez compétent pour indiquer la voie du développement ? Peut-être est il alors judicieux de comprendre comment notre société reconnait la compétence. J’ai suivi pendant ces deux dernières années un enseignement de master en mécanique des fluides. Ma mission : prédire le comportement d’un écoulement fluide à l’aide d’un logiciel informatique. En d’autres termes, il me fallait modéliser un comportement naturel par des variables judicieusement choisies. Une représentation simplifiée de la réalité qui se révéle exacte dans certaines 'conditions' . À l’issus de cette formation, j’ai obtenu le grade de Maitre en Science. La société m’a alors conféré un statut plutôt élevé. Et c’est là ou réside le problème. Dans notre société, plus une personne a une formation théorique, plus elle est reconnue, et donc plus on lui confère un place hiérarchique élevé (et donc un pouvoir décisionnel accru). Et cela est bien entendu aussi valable dans le sens inverse : plus une personne est pratique, moins elle a de pouvoir décisionnel. Dans le domaine du développement, ce constat est symptomatique. Voilà déjà près de cinquante ans que les pays occidentaux appuient les pays en développement. Ces pays sont devenus de réels laboratoires. Les gens les plus éduqués au monde s’y sont essayés en donnant des conseils basés sur une modélisation de la réalité. En physique çà marche, mais pas pour les sciences sociales. Comme le dit Chambers, la réalité sociale est locale, complexe, diverse, dynamique et imprévisible. On ne modélise pas l'homme. C’est tout un changement dans les mentalités et les institutions qu’il faut opérer. Les théoriciens ne seraient présents que pour appuyer les praticiens. Cependant, côtoyant depuis quelques temps le monde du développement, force est de constater que nous en sommes encore bien loin. J’ai rencontré récemment une entreprise française travaillant au Burkina Faso sur un projet majeur de développement. Je crois que j’ai rarement eu honte comme çà. Ils mettent en place un projet d’envergure mais, après quelques échanges, j’ai vite compris qu’ils n’avaient aucun contact avec la 'réalité' du terrain. Leur projet est voué à l’échec, mais eux ont le pouvoir d’agir. Encore une nouvelle expérience dans le laboratoire du développement africain. Que la route est encore longue.
Florian
'je revais d'un autre monde.mpg' : village de Gangany, Oudalan.